Berlioz (1803-1869)
intertextualité
écriture
composition
Critique
Les deux premières lettres de critique d’Hector Berlioz, adressées au Corsaire (et respectivement publiées dans ce journal le 12 août 1823 et le 11 janvier 1824) dépeignent des “dilettantes” refusant toute réflexion sur la musique. La seconde lettre est intitulée Les Dilettanti et en donne cette définition : « Ce sont des gens de goût, […], qui ne vont qu’au Théâtre-Italien, ne lisent jamais de partitions, pour une bonne raison qu’on devine facilement, et décident en dernier ressort du mérite des pièces, des chanteurs et des orchestres. Leur sensibilité est telle qu’ils ne peuvent plus respirer à l’audition d’un certain morceau pathétique de La Gazza ladra, au moment où la servante est menée à la mort, et qu’ils sont du plus grand sang-froid aux représentations des Iphigénies, des Danaïdes, etc… » (BERLIOZ, Hector : Critique musicale, vol. 1 : 1823-1834, Buchet/Chastel, Paris, 1996, p. 5.)
« Si l’on admet que c’est une inclination, une prédisposition, une tendance “instinctive” – ou du moins dont nous ne cherchons pas à connaître l’origine – vers les choses de la musique, nous revenons au dilettante peut-être très sensible, mais primaire et qui, s’il écrit son opinion, ne s’élèvera jamais, en dépit de ses discours, au-delà de son impression personnelle. C’est la critique “impressionniste” dont il a été déjà question si souvent (Thibaudet, “…la critique spontanée est souvent faite par des esprits agiles qui devinent” alors que la critique professionnelle est faite par ceux qui savent (Physiologie de la critique, Hachette, 1930, p. 77). Les distinctions faites plus loin par l’auteur (savoir porté sur le passé, voir sur le présent, etc.) ne s’appliquent pas à la critique musicale telle qu’elle nous apparaît.). » (MACHABEY, Armand : Traité de la critique musicale, Richard Masse, Paris, 1947, p. 129.)
profondeur stéréoscopique est aussi disciplinaire : le littéraire, le poétique comme constructions du langage, comme démarches créatrices volontaires sont des rapprochements de l’œuvre musicale. Le texte critique rapproche de l’œuvre musicale comme le programme qui permit de la constituer. Ce programme, semblant posé a priori de l’œuvre, et le texte critique a posteriori, sont à un même niveau de proximité du musical, ne sont que des modes de déploiement de l’œuvre même.
« La composition musicale dramatique, en effet, est un art double ; il résulte de l’association, de l’union intime de la poésie et de la musique. Les accens mélodiques peuvent avoir sans doute un intérêt spécial, un charme qui leur soit propre et résultant de la musique seulement ; mais leur force est doublée si on les voit concourir en outre à l’expression d’une belle passion, d’un beau sentiment, indiqués par un poëme digne de ce nom ; les deux arts unis se renforcent alors l’un par l’autre. Or cette union est détruite en grande partie dans les salles trop vastes, où l’auditeur, malgré toute son attention, comprend à peine un vers sur vingt, où il ne voit même pas bien les traits du visage des acteurs, où il lui est en conséquence impossible de saisir les nuances délicates de la mélodie, de l’harmonie, de l’instrumentation, et les motifs de ces nuances, et leurs rapports avec l’élément dramatique déterminé par les paroles, puisque ces paroles il ne les entend pas.
La musique d’ailleurs, on n’en doute plus aujourd’hui, doit être entendue de près ; dans l’éloignement, son charme principal disparaît ; il est tout au moins singulièrement modifié et affaibli. Trouverait-on quelque plaisir dans la conversation des plus spirituelles gens du monde si l’on était obligé de l’entretenir à trente pas de ses interlocuteurs ? Le son, en outre, n’a-t-il pas en soi une force vitale communicative qui se perd au delà d’une certaine distance, bien qu’on l’entende encore, et n’est-il pas comme une flamme que l’on voit, mais dont on ne sent pas la chaleur ? » (BERLIOZ, Hector : “CONCERT DU CONSERVATOIRE. Fragmens de l’Alceste française et de l’Alceste italienne, de Gluck. — Mme Viardot ; le public” Journal des Débats, 26 mars 1861, p. 2.)
ironie
« Assez ! N’entrons pas dans le champ épineux de l’ironie, où fleurissent l’absinthe et l’euphorbe à l’ombre des orties arborescentes, où vipère et crapauds sifflent et coassent, où l’eau des lacs bouillonne, où la terre tremble, où le vent du soir brûle, où mes nuages du couchant dardent des éclairs silencieux ! Car à quoi bon se mordre la lèvre, dérober sous des paupières mal closes de verdâtres prunelles, grincer tout doucement des dents, présenter à son interlocuteur un siège armé d’un dard perfide ou couvert d’un glutineux enduit, quand, loin d’avoir dans l’âme quelque chose d’amer, les riants souvenirs encombrent la pensée, quand on sent son cœur plein de reconnaissance et de naïve joie, quand on voudrait avoir cent renommées aux trompettes immenses pour dire à tout ce qui nous est cher : je fus heureux un jour. C’est un petit mouvement de vanité puérile qui m’avait porté à commencer ainsi ; je cherchais, sans m’en apercevoir, à vous imiter, vous l’inimitable ironiste. Cela ne m’arrivera plus. J’ai trop souvent regretté dans notre conversation, de ne pouvoir vous obliger au style sérieux, ni arrêter le mouvement convulsif de vos griffes dans les moments mêmes où vous croyez le mieux faire pattes de velours chat-tigre que vous êtes, leo quaerens quel devoret [Lion cherchant qui dévorer, 1ère épître de Pierre, i, 8)]. Et pourtant que de sensibilités, que d’imagination sans fiel, répandues dans vos œuvres ! Comme vous chantez quand il vous plaît, dans le mode majeur ! Comme votre enthousiasme se précipite et coule à pleins bords quand l’admiration vous saisit à l’improviste et que vous vous oubliez ! Quelle tendresse infinie respire dans un des plis secrets de votre cœur pour ce pays que vous avez tant raillé, pour cette terre féconde en poètes, pour la patrie des génies rêveurs, pour cette Allemagne enfin que vous appelez votre vieille grand-mère et qui vous aime tant malgré tout ! » (BERLIOZ, Hector : Mémoires, Flammarion, Paris, 1991, p. 361.)
révolte et résistance (-> mémoires)
« Pour ne pas faire grogner quelques mauvais dogues à la chaîne, qui voudraient mordre quiconque passe en liberté devant leur chenil ? Cela vaut bien la peine d’aller employer de vieilles formules et jouer une comédie dont personne n’est dupe ! La vraie modestie consisterait, non seulement à ne pas parler de soi, mais à ne pas en faire parler, à ne pas attirer sur soi l’attention publique, à ne rien dire, à ne rien écrire, à ne rien faire, à se cacher, à ne pas vivre. N’est-ce pas là une absurdité… » (BERLIOZ, Hector : Mémoires, Flammarion, Paris, 1991, pp. 327-238.)
Mémoires
jeunesse, apprentissage : « On voit déjà, n’est-ce pas, mon aptitude pour les grands effets d’instruments à vent ? [notamment l’usage des trombones] … (Un biographe pur sang ne manquerait pas de tirer cette ingénieuse induction…) » (BERLIOZ, Hector : Mémoires, Flammarion, Paris, 1991, p. 48.)
passions esthétiques : « Ainsi déchiré nuit et jour par mon amour shakespearien, dont la révélation des œuvres de Beethoven, loin de me distraire, semblait augmenter la douloureuse intensité, à peine occupé de rares et informes travaux de littérature musicale, toujours rêvant, silencieux jusqu’au mutisme, sauvage, négligé dans mon extérieur, insupportable à mes amis autant qu’à moi-même, j’atteignis le mois de juin de l’année 1828 » (BERLIOZ, Hector : Mémoires, Flammarion, Paris, 1991, p. 129.)
Correspondance
Berlioz présente la critique musicale – de manière trop évidente pour ne pas être ironique – comme la schizophrénie entre le contenu musical et le mode littéraire de discours, ce qui lui fait prendre la forme d’une hiérarchisation généralisée du discours sur l’œuvre selon la dichotomie entre le littéraire et le musical, et qui résume la critique à une activité d’élite ou de médiocres. Résolvant la schizophrénie critique entre son statut et son action, le compositeur Berlioz et Wolf généralisent la prétérition au niveau de la discipline critique, qui consiste à ne plus donner de gage trop évidents au jugement afin de stimuler l’interprétation. « Ces imbéciles de critiques, c’est sûr, sont encore loin de plébisciter ma forme et mes idées ; mon art est trop neuf pour eux, dont l’encre est aussi sèche que la poussière. Mais il y a une bonne partie du public qui est prêt à me suivre, et qui ne demande qu’à connaître ce que je compose. » (Lettre à sa mère de 1888, cité dans GOLDET, Stéphane : Hugo Wolf, Fayard, Paris, 2003, p. 172.)
Le travail de littérature se confond pour le compositeur avec le travail de lecture et avec celui de collaboration esthétique. Probablement en 1823, à son entrée au Conservatoire, Berlioz se lie avec Humbert Ferrand (1805-1868), un étudiant en droit qui deviendra son librettiste. Leur première collaboration aboutit à un opéra Les Francs-Juges condamné par son refus à l’Académie Royale de musique et dont la “Marche des gardes” sera réutilisée pour la “Marche au supplice” de la Symphonie fantastique ; que la première scène du troisième acte deviendra également le deuxième mouvement de la Symphonie funèbre et triomphale, et une phrase d’un chœur retrouvera dans le final de Benvenuto Cellini. « Écoutez-moi bien, Ferrand : si jamais je réussis, je sens, à n’en pouvoir douter, que je deviendrai un colosse en musique ; j’ai dans la tête depuis longtemps une Symphonie descriptive de Faust qui fermente ; quand je lui donnerai la liberté, je veux qu’elle épouvante le monde musical. » (BERLIOZ, Hector : Lettre du 2 février 1829, Correspondance, vol. 1, sous la direction de Pierre Citron, Flammarion, Paris, 1972, vol. 1, p. 232.) Après l’inaboutissement de la composition des Francs-juges dont Humbert Ferrand rédigea le livret, c’est vers le même écrivain qu’il se tourne pour exprimer sa volonté de constituer une forme musicale rénovée par son rapport intime au littéraire. Or, le but de cette écriture est précisément le renforcement de la description artistique pour sa force sur l’auditoire : la récupération dans le musical d’un procédé d’ekphrasis critique.
La musique est comme cette traduction, que le critique accomplit : c’est dans cet esprit que Dukas travaille sa composition par l’inspiration littéraire par la traduction. De même, Berlioz argue de son habitude du texte comme lecteur pour justifier qu’il s’en sente proche du créateur au point de recomposer l’œuvre par la musique.
« Monseigneur,
Depuis quelques années, Faust étant devenu ma lecture habituelle, à force de méditer cet étonnant ouvrage (quoi que je ne puisse le voir qu’à travers les brouillards de la traduction) il a fini par opérer sur mon esprit une espèce de charme ; des idées musicales se sont groupées dans ma tête autour de vos idées poétiques, et bien que fermement résolu de ne jamais unir mes faibles accords à vos accents sublimes, peu à peu la séduction a été si forte, le charme si violent, que la musique de plusieurs scènes s’est trouvée faite presque à mon insu.
Je viens de publier ma partition, et quelque indigne qu’elle soit de vous être présentées, je prends aujourd’hui la liberté de vous en faire hommage. Je suis bien convaincu que vous avez reçu déjà un très grand nombre de compositions en tout genre inspirées par le prodigieux poème ; j’ai donc lieu de craindre qu’en arrivant après tant d’autres, je ne fasse que vous importuner. Mais dans l’atmosphère de gloire où vous vivez, si des suffrages obscurs ne peuvent vous toucher, du moins j’espère que vous pardonnerez à un jeune compositeur qui, le cœur gonflé et l’imagination enflammée par votre génie, n’a pu retenir un cri d’admiration. » (J’ai l’honneur d’être, Monseigneur, avec le plus profond respect, Votre très humble et très obéissant serviteur, Hector Berlioz, Rue de Richelieu, n° 96, 10 avril 1829. BERLIOZ, Hector : Correspondance, sous la direction de Pierre Citron, Flammarion, Paris, 1972, vol. 1, p. 247.)
Il faut noter que la (fausse) modestie de Berlioz l’incite à présenter son œuvre “après tant d’autres” inspirées par le poète, insistant sur la créativité qui permet la composition musicale, insistant en particulier sur les rapports que son œuvre musicale tisse avec d’autres compositions grâce au texte de Goethe. C’est de l’habitude de l’œuvre littéraire que Berlioz tire sa force et sa légitimité de producteur, artistique et critique. De là se déploie son appel à l’intersubjectif : il lance un défi aux autres œuvres musicales d’avoir aussi bien compris Goethe, qu’il en attendait lui-même d’inspiration pour son œuvre. Hamlet et Goethe, hérauts de l’influence littéraire sur le musical, sont aussi des interlocuteurs : ils ne sont pas que les voix de la musique, ils en sont aussi les objets-confidents, les récepteurs de la créativité.
« Nous lirons Hamlet et Faust ensemble. Shakespeare et Goethe ! Les muets confidents de mes tourments, les explicateurs de ma vie. Venez ! Oh ! Venez ! Personne ici ne comprend cette rage de génie. Le soleil les aveugle. On ne trouve cela que bizarre. J’ai fait avant-hier, en voiture, la ballade du Roi de Thulé en style gothique ; je vous la donnerai pour la mettre en votre Faust, si vous en avez un. » (BERLIOZ, Hector : Correspondance, sous la direction de Pierre Citron, Flammarion, Paris, 1972, vol. 1, p. 208.) Berlioz trouve son inspiration dans les œuvres de Shakespeare et de Goethe, s’inspire de leur œuvre, les intègre dans sa musique. Berlioz cite Shakespeare dans ses livrets et en tête de chaque scène de Faust ; il truffe ses textes de citations de Virgile, La Fontaine ou Hugo, citations quelque peu inexactes car opérées de mémoire, citations souvent délibérément adaptées à une volonté autoriale. Le compositeur intercale des citations littéraires dans son œuvre musicale comme un geste d’écriture, comme Liszt compose sa musique sur la page de son carnet en vis-à-vis de celle où il a reproduit un poème.
Berlioz présente la critique musicale – de manière trop évidente pour ne pas être ironique – comme la schizophrénie entre le contenu musical et le mode littéraire de discours, ce qui lui fait prendre la forme d’une hiérarchisation généralisée du discours sur l’œuvre selon la dichotomie entre le littéraire et le musical, et qui résume la critique à une activité d’élite ou de médiocres. Résolvant la schizophrénie critique entre son statut et son action, le compositeur Berlioz et Wolf généralisent la prétérition au niveau de la discipline critique, qui consiste à ne plus donner de gage trop évidents au jugement afin de stimuler l’interprétation. « Ces imbéciles de critiques, c’est sûr, sont encore loin de plébisciter ma forme et mes idées ; mon art est trop neuf pour eux, dont l’encre est aussi sèche que la poussière. Mais il y a une bonne partie du public qui est prêt à me suivre, et qui ne demande qu’à connaître ce que je compose. » (Lettre à sa mère de 1888, cité dans GOLDET, Stéphane : Hugo Wolf, Fayard, Paris, 2003, p. 172.)
La musique est comme cette traduction, que le critique accomplit : c’est dans cet esprit que Dukas travaille sa composition par l’inspiration littéraire par la traduction. De même, Berlioz argue de son habitude du texte comme lecteur pour justifier qu’il s’en sente proche du créateur au point de recomposer l’œuvre par la musique.
« Monseigneur,
Depuis quelques années, Faust étant devenu ma lecture habituelle, à force de méditer cet étonnant ouvrage (quoi que je ne puisse le voir qu’à travers les brouillards de la traduction) il a fini par opérer sur mon esprit une espèce de charme ; des idées musicales se sont groupées dans ma tête autour de vos idées poétiques, et bien que fermement résolu de ne jamais unir mes faibles accords à vos accents sublimes, peu à peu la séduction a été si forte, le charme si violent, que la musique de plusieurs scènes s’est trouvée faite presque à mon insu.
Je viens de publier ma partition, et quelque indigne qu’elle soit de vous être présentées, je prends aujourd’hui la liberté de vous en faire hommage. Je suis bien convaincu que vous avez reçu déjà un très grand nombre de compositions en tout genre inspirées par le prodigieux poème ; j’ai donc lieu de craindre qu’en arrivant après tant d’autres, je ne fasse que vous importuner. Mais dans l’atmosphère de gloire où vous vivez, si des suffrages obscurs ne peuvent vous toucher, du moins j’espère que vous pardonnerez à un jeune compositeur qui, le cœur gonflé et l’imagination enflammée par votre génie, n’a pu retenir un cri d’admiration. » (J’ai l’honneur d’être, Monseigneur, avec le plus profond respect, Votre très humble et très obéissant serviteur, Hector Berlioz, Rue de Richelieu, n° 96, 10 avril 1829. BERLIOZ, Hector : Correspondance, sous la direction de Pierre Citron, Flammarion, Paris, 1972, vol. 1, p. 247.)
Il faut noter que la (fausse) modestie de Berlioz l’incite à présenter son œuvre “après tant d’autres” inspirées par le poète, insistant sur la créativité qui permet la composition musicale, insistant en particulier sur les rapports que son œuvre musicale tisse avec d’autres compositions grâce au texte de Goethe. C’est de l’habitude de l’œuvre littéraire que Berlioz tire sa force et sa légitimité de producteur, artistique et critique. De là se déploie son appel à l’intersubjectif : il lance un défi aux autres œuvres musicales d’avoir aussi bien compris Goethe, qu’il en attendait lui-même d’inspiration pour son œuvre. Hamlet et Goethe, hérauts de l’influence littéraire sur le musical, sont aussi des interlocuteurs : ils ne sont pas que les voix de la musique, ils en sont aussi les objets-confidents, les récepteurs de la créativité.
« Nous lirons Hamlet et Faust ensemble. Shakespeare et Goethe ! Les muets confidents de mes tourments, les explicateurs de ma vie. Venez ! Oh ! Venez ! Personne ici ne comprend cette rage de génie. Le soleil les aveugle. On ne trouve cela que bizarre. J’ai fait avant-hier, en voiture, la ballade du Roi de Thulé en style gothique ; je vous la donnerai pour la mettre en votre Faust, si vous en avez un. » (BERLIOZ, Hector : Correspondance, sous la direction de Pierre Citron, Flammarion, Paris, 1972, vol. 1, p. 208.) Berlioz trouve son inspiration dans les œuvres de Shakespeare et de Goethe, s’inspire de leur œuvre, les intègre dans sa musique. Berlioz cite Shakespeare dans ses livrets et en tête de chaque scène de Faust ; il truffe ses textes de citations de Virgile, La Fontaine ou Hugo, citations quelque peu inexactes car opérées de mémoire, citations souvent délibérément adaptées à une volonté autoriale. Le compositeur intercale des citations littéraires dans son œuvre musicale comme un geste d’écriture, comme Liszt compose sa musique sur la page de son carnet en vis-à-vis de celle où il a reproduit un poème.
Feuilleton
La Presse (cf. BAREL-MOISAN, Claire : “Révolution éditoriale ou ‘charlatanisme de spéculateur’ ? L’invention de La Comédie humaine face à la critique du XIXe siècle”, La production de l’immatériel Théories, représentations et pratiques de la culture au XIXe siècle, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2008, p. 232.) entérine le lien entre la création littéraire et la conscience de l’actualité lorsqu’elle inaugure le roman-feuilleton en 1836 et Mallarmé ne tardera pas à regretter sa disparition, au vu du refus de la presse de travailler le fait d’actualité artistique par une écriture.
« À côté de lasses erreurs qui se débattent, voyez ! déjà l’époque apprête telle transformation plausible ; ainsi ce qu’on appela autrefois la critique dramatique ou le feuilleton, qui n’est plus à faire, abandonne très correctement la place au reportage des premiers soirs, télégrammatique ou sans éloquence autre que n’en comporte la fonction de parler au nom d’une unanimité de muets. Ajoutez l’indiscrétion, ici les coulisses, riens de gaze ou de peau attrapés entre les châssis en canevas à la hâte mis pour la répétition (délice la primeur ne fût-ce que de redites) : ce qu’au théâtre consacrera la presse de fait-divers. Le paradoxe chez l’écrivain supérieur longtemps fut, avec des fugues et points d’orgue imaginatifs, se le rappelle-t-on, d’occuper le genre littéraire créateur de quoi la prose relève, la Critique, à marquer les fluctuations d’un article d’esprit ou de mode. » (MALLARMÉ, Stéphane : “Crayonné au théâtre”, Œuvres complètes, tome II, Gallimard, Paris, 2003, p. 162.)
Le feuilleton, petit feuillet de bas de page réservé aux divertissements, apparaît après la Révolution ; il se développe au XIXe et disparaît du Monde des livres en 2001. Pourtant, cette formule de publication de la critique avait inscrit dans son identité le lien de la critique et du domaine littéraire : « le journal, lieu de l’écrit, se devait de faire une place à la littérature sous la forme du genre qui lui correspondait : la critique. Et pour cela de créer une fonction singulière, celle du feuilletoniste. » (KÉCHICHIAN, Patrick : “La critique des écrivains”, séminaire “La critique impossible ?” de l’Institut Français de Presse, Paris 2, séance du 25 janvier 2007.)Le feuilleton musical du XIXe siècle est une forme de critique hérissée de termes techniques, la manifestation exclusive de la compétence musicale et valorisée comme telle de Balzac à Louis Reybaud. Berlioz doit aller jusqu’à penser une libération de toute contrainte éditoriale pour pouvoir envisager un critique qui serait supérieur au feuilletoniste.
« Le critique (je le suppose honnête et intelligent) n’écrit que s’il a une idée, s’il veut éclairer une question, combattre un système, s’il veut louer ou blâmer […] le malheureux feuilletoniste obligé d’écrire sur tout ce qui est du domaine de son feuilleton (triste domaine, marécage rempli de sauterelles et de crapauds) ne veut rien que l’accomplissement de la tâche qui lui est imposée ; il n’a bien souvent aucun opinion au sujet des choses sur lesquelles il est forcé d’écrire ; ces choses-là n’excitent ni sa colère, ni son admiration ; elles ne sont pas. » (BERLIOZ, Mémoires, II, p. 169. Et il ajoute : « Sempiternellement feuilletoniser pour vivre ! écrire des riens sur des riens ! donner de tièdes éloges à d’insupportables fadeurs […] c’est le comble de l’humiliation ! mieux vaudrait être… ministre des Finances d’une République ! »)
Ce critique qui n’écrit que s’il en sent l’envie, ressemble fort au dilettante contre lequel Berlioz s’oppose tout autant. C’est que le critique qui veut, s’oppose au critique qui doit ; relever la puissance des contraintes montre surtout que le journal favorise peu le spécialiste, celui qui sait.
Volontaires dans le travail d’un discours qui donne une cohérence à la lecture esthétique, les critiques rivalisent de suite dans les idées et de réappropriation des structures et formats ; ils investissent même dans leurs articles leur plume d’un pouvoir de littérateur.
« Dans le journalisme viennois, se développe très vite un genre particulier : le feuilleton[…]. Les journalistes les plus célèbres parviennent vite à un rang envié de la vie intellectuelle et littéraire. Ludwig Speidel, Daniel Spitzer, Eduard Hanslick, les feuilletonistes de la Presse et de la Neue Freie Presse n’appartiennent pas seulement au centre de la critique, mais de la vie littéraire viennoise toute entière. Touchant des dizaines de milliers de lecteurs, ils sont bien plus connus que les écrivains de théâtre, que les auteurs de romans ou de poème, dont l’auditoire est nettement plus restreint […]. Le poids des directions de journaux ne fait que s’accroître à mesure que les écrivains tentent de plus en plus nombreux de se servir de ce nouveau moyen de diffusion. » (Vienne 1900 : une identité blessée, présenté par Michael Pollack, Gallimard-Julliard, Paris, 1984, pp. 62-63, GOLDET, Stéphane : Hugo Wolf, Fayard, Paris, 2003, p. 116.)
Cette diffusion musicale fait particulièrement florès en Allemagne, où une logique romantique de la fusion des disciplines et de l’omnipotent génie créateur s’accordent mieux avec la médiatisation du musical qu’en France, nation dont chacun se pense artiste et dont aucun artiste ne se pense comme intermédiaire : « Je suis forcé d’écrire des feuilletons. Mon désespoir. Velléités de suicide. » (BERLIOZ, Hector : Mémoires, Flammarion, Paris, 1991, chapitre LIII traitant de la période suivant 1840, marquée de peu de compositions et de quelques directions d’ouvrages.) La carrière critique de Berlioz est une fatalité pour le compositeur conscient des nouveaux modes de diffusion de son œuvre. « Fatalité. Je deviens critique.
Je dois maintenant signaler la circonstance qui me fit mettre la main à la roue d’engrenage de la critique. » (Titre et suite du chapitre XXI, BERLIOZ, Hector : Mémoires, Flammarion, Paris, 1991, p. 126.)Edmond de Cazalès (1804-1876), ancien page de Louis XVIII, et le comte Louis de Carné (1804-1879) contactèrent Berlioz pour collaborer dès son retour de Rome comme critique musical à La Revue européenne, nouveau nom depuis 1831 de Le Correspondant fondé en 1829. C’est pourtant à son librettiste Humbert Ferrand, que Berlioz déclare avoir répondu en publiant une partie de ses correspondances, dans ses mémoires :
« Mais je ne suis pas un écrivain, lui dis-je, quand il m’en parla ; ma prose sera détestable, et je n’ose vraiment… – Vous vous trompez, répondit Ferrand, j’ai vu de vos lettres, vous acquerrez bientôt l’habitude qui vous manque ; d’ailleurs, nous reverrons vos articles avant de les imprimer, et nous vous indiquerons les corrections qui pourront y être nécessaires. Venez avec moi chez de Carné, vous y connaîtrez les conditions auxquelles cette collaboration vous est offerte.
Je n’ai jamais eu beaucoup de confiance en moi, avant d’avoir éprouvé mes forces ; mais cette disposition naturelle se trouvait augmentée ici par une excursion malheureuse que j’avais déjà faite dans le champ de la polémique musicale. » (idem, p. 362.)
Le besoin pécuniaire incite Berlioz à créer une forme critique de nouvelle, plus proche du littéraire car plus influente. Berlioz obtient alors son feuilleton musical, « trône de critique tant envié » (idem, p. 280.) à la suite de Castil-Blaze au Journal des Débats qui avait pris l’initiative de reproduire élogieusement sa nouvelle Rubini à Calais, parue dans La Gazette musicale le 10 Octobre 1834. Mais les critiques gèrent les pans de la culture par autant de fiefs : Berlioz est soumis au bon vouloir du journal pour la publication de ses articles, il paie, par là, aussi bien son intransigeance esthétique que son refus à prendre part dans le débat plus global concernant les rapports entre le journalistique et l’artistique ou bien à prendre une place influente dans les comités de rédactions, alors même que le compositeur sait chercher activement les postes d’influence dans les institutions culturelles.
Le feuilleton permet un contact avec l’opinion du lectorat, qui exige un échange textuel régulier. Le feuilleton enseigne aussi à l’écrivain comment masquer son opinion ; et au lecteur, cette forme d’échange apprend à modifier sa lecture pour déchiffrer les non-dits. Le lecteur du feuilleton marque son intérêt pour un jugement, en le reproduisant dans tous ses avis musicaux. Ce travail critique qui forge sourdement l’opinion est travail de l’ombre parce qu’il n’est pas visible au développement de l’œuvre, dont il risque de faire écrouler les fondations dans le creusement isolé de son interprétation. La plume critique creuse, gratte le sens dans son écriture, elle gratte le papier qu’elle pose en palimpseste sur l’œuvre et ajoure son interprétation. L’artiste souffre de la conscience de son travail critique comme souterrain, subversif, soubassement créatif.
« De Balzac, en vingt endroits de son admirable Comédie humaine [Berlioz fut en relation cordiales avec Balzac à partir de 1833 environ. Il avait pour le romancier une grande admiration. Balzac lui dédia Ferragus, premier volet de l’Histoire des Treize, dans le t. IX de l’édition de La Comédie humaine, paru en 1843 chez Furne], a dit de bien excellentes choses sur la critique contemporaine ; mais en relevant les erreurs et les torts de ceux qui l’exercent, il n’a pas assez fait ressortir, ce me semble, le mérite de ceux qui restent honorables, ni appréciés leurs secrètes douleurs. Dans son livre même intitulé : La Monographie de la Presse, malgré la collaboration de son ami Laurent-Jan (Alphonse-Jean Laurent, dit Laurent-Jan (1808-1877), bohème, homme d’esprit, journaliste, à l’occasion poète et littérateur. Il écrivit notamment dans Le Charivari et dans des recueils collectifs. Il est possible que Balzac ait eu recours à son expérience pour écrire sa Monographie de la presse parisienne, mais, quoi qu’en disent Berlioz et Maxime Du Camp, rien ne prouve que Laurent-Jan y ait véritablement collaboré. Le texte parut, signé du seul Balzac, dans le recueil collectif La Grande Ville, en 1843.) (qui est aussi le mien et dont l’esprit est l’un des plus pénétrants que je connaisse), de Balzac n’a pas éclairé toutes les facettes de la question. Laurent-Jan a écrit dans plusieurs journaux, mais sans suite, en fantaisiste plutôt qu’en critique, et pas plus que de Balzac, il n’a pu tout savoir, ni tout voir. » (BERLIOZ, Hector : Mémoires, Flammarion, Paris, 1991, p. 282.)
L’opposition à la critique doit se souligner en transparence comme la critique fait passer le doute derrière l’éloge. La critique s’organise en feuilleton sur le modèle de l’organisation en fresque de la littérature et Berlioz rappelle la nécessité de pratiquer l’activité journalistique afin d’établir par le réseau, une plume chronique efficace, c’est-à-dire ni trop littéraire, ni trop “fantastique” (comme le dénonce l’emploi du terme hoffmannien).
Production culturelle
Berlioz dont la plume critique n’est jamais trop acerbe contre les compromissions esthétiques se voit déjà contraint par le système culturel de son époque de soutenir les médiocres œuvres poétiques et musicales de Mlle Louise Bertin, fille du directeur et fondateur, sœur du rédacteur en chef du Journal des Débats : c’est « malgré l’indécision » et les quelques formes « enfantines » que l’on apprécie son œuvre ; « Mlle Bertin ne pouvant suivre ni diriger elle-même au théâtre les études de sa partition, son père me chargea de ce soin et m’indemnisa très généreusement du temps que je dus consacrer à cette tâche. » (BERLIOZ, Hector : Mémoires, Flammarion, Paris, 1991, p. 285.) La chute inexorable de ses œuvres sera attribuée au fait que Mlle Bertin n’ait pas écrit de critique pour se constituer de réseau : de fait, le public propagea la rumeur que les agréables passages de l’œuvre étaient de la main de Berlioz. Berlioz est l’obligé des institutions culturelles, il est contraint de faire de la critique, mais même dominé par l’industrie culturelle, la critique reste un discours, reste le lieu séditieux du travail du sous-entendu
Berlioz obtient le soutien d’un homme de presse comme il acquit le soutien de grands politiques. Le compositeur-critique doit à la députation de Victor Hugo de conserver sa place institutionnelle de bibliothécaire du Conservatoire. Berlioz ne cesse de souligner dans ses mémoires comme dans ses tribunes les fiers services que peut lui rendre le directeur des Beaux-Arts, M. Charles Blanc, frère du député Louis Blanc. La tribune renforce l’audibilité de l’œuvre critique permettant de rendre des gages au représentant de l’alliance entre l’institution culturelle et de l’autorité politique.
La professionnalisation de la critique, son inscription comme activité économique dans le champ de l’art la fondent comme discipline, lui donne une inscription et des perspectives historiques par lesquelles elle peut évaluer l’historicité de l’œuvre.
La critique de la Symphonie fantastique de Berlioz par Schumann dans la troisième parution de la Neue Zeitschrift für Musik en 1885 est vue comme un « modèle de critique musicale » (WOLF, Hugo : Chroniques musicales 1884-1887, Contrechamps, Genève, 2004, “À propos de l’exécution de la Symphonie fantastique d’Hector Berlioz lors du septième concert par abonnement de la Société Philharmonique, 5 avril 1885 [n° 47]”, p. 86.) parce qu’elle est une abstraction qualifiant l’œuvre, une ouverture absolue à l’œuvre de Berlioz où se retrouve l’œuvre de Schumann. « Schumann a reconnu au premier coup d’œil les beautés, les dimensions colossales, les hardiesses, les excès géniaux, la profondeur du sentiment, la force de la pensée, la rigueur concise de l’expression la maîtrise de la forme et la logique de la construction de cet enfant turbulent né de la muse de Berlioz. » (ibid.) La qualité principale du critique serait ainsi sa conscience de l’actualité qui porterait une œuvre à l’attention postérieure du musicologue. « On mesure à quel point Schumann a pris au sérieux sa mission de critique lorsqu’on lit, par exemple, ceci “Habités par la ferme conviction que certains théoriciens au petit pied (ne pense-t-on pas ici immédiatement aux matadors de notre critique quotidienne ?) font bien plus de dégâts, et que protéger la misérable médiocrité (ne pense-t-on pas ici sans le vouloir à nos symphonistes d’aujourd’hui, célèbres mais malheureusement démodés ?) cause bien plus de malheurs que de récompenser l’extravagance poétique, nous sommons une fois pour toutes nos descendants de porter ce témoignage pour nous : qu’en ce qui concerne les compositions de Berlioz, nous n’avons pas été à la traîne de dix ans, comme à l’accoutumée, mais qu’au contraire nous avons eu la prescience qu’un génie se cachait chez ce Français”. Oh oui, je vénère, j’aime, j’adore Schumann, ne serait-ce que pour cette seule critique ! – – – – » (idem, pp. 86-87.) Schumann fait figure de modèle pour Wolf, en ce qu’il s’établit comme compositeur et critique par une critique modèle fondée sur la défense de Berlioz comme modèle musical.
La “figure du maître” (cf. notre étude de cette figure au sujet du lien entre Camille Saint-Saëns et Gabriel Fauré.) peut suffire en tant que statut à faire accepter la comparaison. Le maître compense les défauts de la comparaison (peu didactique et déchirant les liens entre les œuvres) puisqu’il est l’inconnu pour sa pédagogie et les rapprochements que le maître a opéré entre des œuvres (les siennes et celles de grands maîtres,voire de ses élèves).
pédagogie
La critique se fait pédagogue en transmettant la beauté d’une œuvre et en présentant les raisons qu’un artiste critique trouve de l’apprécier. Comme la critique repose sur une interprétation construite pour accomplir le potentiel de l’œuvre, c’est un rapport particulier au maître qui permet au critique d’apprendre des écrivains à écrire, des musiciens à parler d’art.
Les relations de Berlioz aux maîtres, l’orientation de sa plume dans sa critique sont fonction de son apprentissage de compositeur qui se confond avec sa découverte de l’œuvre d’autres compositeurs. Ainsi, Mozart pâtit-il par les conditions de son exécution, de la comparaison avec les modèles de Berlioz : « Gluck et Spontini avaient seuls le pouvoir de me passionner. Or voici la cause de ma tiédeur pour l’auteur de Don Juan. Ses deux opéras le plus souvent représentés à Paris étaient Don Juan et Figaro ; mais ils y étaient chantés en langue italienne, par des Italiens et au Théâtre-Italien ; et cela suffisait pour que je ne pusse me défendre d’un certain éloignement pour ces chefs-d’œuvre. Ils avaient à mes yeux le tort de paraître appartenir à l’école ultramontaine. » (BERLIOZ, Hector : Mémoires, Flammarion, Paris, 1991, p. 110.)
La figure du critique est une figure formatrice, une figure de maître qui choisit ses égaux. Sainte-Beuve élit ses maîtres critiques, prend « Diderot, Bayle, Vauvenargues, Goethe ou Joubert pour guides » (PRASSOLOFF, Annie & DIAZ, José-Luis : Présentation, dans SAINTE-BEUVE, Charles-Augustin : Pour la critique, Gallimard, Paris, 1992, p. 42.) Le maître critique appartient à la formation musicale.
L’activité critique devient ainsi un outil de formation comme moyen de côtoyer des œuvres et leurs auteurs. Dès quinze ans, Wolf rédige des carnets critiques : « Fidelio, de L. v. Beethoven. Fidelio : Mme Dustmann, Florestan : Monsieur Walter. Pizzaro : M. Beck. Cet opéra m’a fait une impression formidable. Je ne m’appartenais plus. Ma tante, Anna et Ida étaient à côté de moi, au poulailler. Mme Dustmann reçut un bouquet à la fin. Elle fut rappelée quatre fois. » (GOLDET, Stéphane : Hugo Wolf, Fayard, Paris, 2003, p. 50.)
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Les francs-juges, opéra inachevé sur un livret de Humbert Ferrand en 1826.
Matériau réemployé : la Marche au supplice de la Symphonie fantastique et du second mouvement de la Symphonie funèbre et triomphale.
Les cours véhmique, saint Vehme ou simplement Vehm, aussi épelé Feme, sont des noms donnés à un système judiciaires de « proto-justiciers » de Westphalie, actif à la fin du Moyen-Âge, basé sur une organisation confraternelle appellée les “francs juges” (allemand: Freischöffen, anglais : free judges). Le siège originel de la cour était à Dortmund. Le déroulement était parfois secret, conduisant à la dénomination de “cours secrètes” (Allemand : heimliches Gericht), “cours silencieuses” (Allemand : Stillgericht), ou “cours interdites” (Allemand : verbotene Gerichte).
Les cours ont juridiction sur tous les crime du Moyen-Âge tardif, et les condamnations menaient à de silencieuses exécutions, puis à des pendaisons publiques à des arbres.
Une Vehm est un ancien tableau
dans la veine des Opéra révolutionnaires de Etienne-Nicolas Méhul (1763-1817) et Luigi Cherubini (1760–1842).
Benvenuto Cellini (1838), opéra en deux actes, livret de Léon de Wailly inspiré des mémoires du sculpteur florentin.
rédaction du compositeur
L’enfance du Christ, Opus 25 (1853-4, reprend La Fuite en Égypte de 1850)
oratorio basé sur la fuite de la sainte famille en Égypte (Matthieu, 2:13) et dont Berlioz a rédigé lui-même les paroles.
Béatrice et Bénédict, 1862 opéra en deux actes de Berlioz, dont il écrivit lui-même me livret en s’inspirant de Beaucoup de bruit pour rien de Shakespeare.
Roméo et Juliette, op. 17, H. 79, 1838.
La cantate Sardanapale avec laquelle il remporte le Prix de Rome en 1830, inclut des mélodies de la partie Roméo seul du second mouvement et de la Grande fête chez Capulet.
février 1831 : revue de I Capuleti e i Montecchi de Bellini, dans laquelle il souligne comment il composerait une musique pour Roméo et Juliette : le combat d’épée, un concert pour l’Amour, les piquantes bouffoneries de Mercutio, la terrible catastrophe, et le serment solennel des deux familles rivales. Une ligne de texte de la revue sera finalement présente dans le livret de la symphonie.
Préface
On ne se méprendra pas sans doute sur le genre de cet ouvrage. Bien que les voix y soient souvent employées, ce n’est ni un opéra de concert, ni une cantate, mais une symphonie avec chœurs.
le chant (la voix) prépare l’orchestre (les sentiments)
suit dans la construction musicale l’exemple même de Shakespeare
Si le chant y figure presque dès le début, c’est afin de préparer l’esprit de l’auditeur aux scènes dramatiques dont les sentiments et les passions doivent être exprimés par l’orchestre. C‘est en outre pour introduire peu a peu dans le développement musical les masses chorales, dont l’apparition trop subite aurait pu nuire à l’unité de la composition. Ainsi le prologue, où, à l’exemple de celui du drame de Shakespeare lui-même, le chœur expose l’action, n’est chanté que par quatorze voix. Plus loin se fait entendre (hors de la scène) le chœur des Capulets hommes) seulement ; puis dans la cérémonie funèbre, les Capulets hommes et femmes. Au début du finale figurent les deux chœurs entiers des Capulets et des Montaigus et le père Laurence ; et à la tin, les trois chœurs réunis.
Cette dernière scène de la réconciliation des deux familles est seule du domaine de l’opéra ou de l’oratorio. Elle n’a jamais été. depuis le temps de Shakespeare, représentée sur aucun théâtre ; mais elle est trop belle, trop musicale, et elle couronne trop bien un ouvrage de la nature de celui-ci, pour que le compositeur put songer a la traiter autrement,
La forme (opéra, oratorio devient un choix stylistique lié au naturel de l’expression).
Si, dans les scènes célèbres du jardin et du cimetière, le dialogue des deux amants, les apartés de Juliette et les élans passionnés de Roméo ne sont pas chantés, si enfin les duos d’amour et de désespoir sont confiés à l’orchestre, les raisons en sont nombreuses et faciles à saisir, c’est d’abord, et ce motif seul suffirait A la justification de l’auteur, parce qu’il s’agit d’une symphonie et non d’un opéra. Ensuite, les duos de cette nature ayant été traités mille fois vocalement et par les plus grands maitres, il était prudent autant que curieux de tenter un autre mode d’expression. C’est aussi parce que la sublimité même de cet amour en rendait la peinture si dangereuse pour le musicien, qu’il a dû donner à sa fantaisie une latitude que la sens positif des paroles chantées ne lui eut pas laissée, et recourir à la langue instrumentale, langue plus riche, plus variée, moins arrêtée, et, par son vague même, incomparablement plus puissante en pareil cas,
H. BERLIOZ.